En séjour à Kinshasa depuis le début du mois, la délégation des femmes, des rescapés des attaques des ADF et des jeunes a tenu un point de presse le 22 Avril à Kinshasa. Elle a détaillé les objectifs de son déplacement vers la capitale, parlé de ses audiences avec le Chef de l’Etat, mais également des véritables causes des massacres à répétition en ville et territoire de Beni, Butembo et Ituri.
« Au moment où nous vous parlons ici, il y a des compatriotes de l’Est, particulièrement ceux du Nord-Kivu ainsi que l’Ituri, et plus particulièrement ceux du territoire de Beni et Irumu qui vivent une situation inhumaine.
Cette situation date de plus de sept ans déjà et dépasse les capacités humaines pouvant être supportée. C’est pour cette raison que nous sommes ici dans la capitale congolaise pour sensibiliser les différentes autorités, les instances de prise des décisions tant nationales qu’internationales afin de considérer la situation de Beni comme une priorité des priorité », a déclaré Rose Kahambu Tuombeane.
Des chiffres alarmants
Au cours de cette décennie, la délégation a pu recenser un échantillon des dégâts causés par les massacres à l’Est.
Elle explique que sans les derniers chiffres du territoire de Beni, « plus de 190 villages sont abandonnés par leurs occupants, plus de 4200 morts sont identifiés, plus de 3000 personnes ont disparues (dont les corps n’ont jamais été retrouvés et dont personne ne sait dire exactement s’ils sont vivants ou morts), plus de 1200 personnes sont kidnappées alors que le nombre d’orphelins de ces massacres est estimé à plus de 3100, celui de veuves, à plus de 2000.
Plus de 900 maisons ont été incendiées et plus de 15 structures de santé réduites en cendre. Parmi les armes utilisées lors des tueries, il y a notamment la machette, la hache, le couteau ou le fusil ».
Ce commentaire est appuyé par le témoignage du rescapé d’une attaque du secteur de Ruwenzori, territoire de Beni. « C’était vers 14 heures. Nous étions en route vers nos champs. Tout à coup, des gens en tenues militaires, munis d’armes à feu, des haches et des machettes nous ont entouré. Ils ont attaqué des femmes en premier, ils ont éventré nos épouses, ils ont décapité des hommes et exposé leurs têtes sur des tranches d’arbres. Je me suis échappé, j’ai passé deux jours dans la brousse, j’ai réussi à regagner mon village (Mwenda), j’ai rapporté cela à la population. Actuellement ce secteur est vidé », se rappelle Jérémie Kule, tout tremblant.
Les villes et territoires d’Oicha, Mbau (des déplacés pygmées), Kasindi et Biakato servent des sites pour plus de 100 mille ménages déplacés de guerre. Les autres déplacés des massacres de Beni vivent dans des familles d’accueil notamment à Oicha, à Beni, à Mbau, ainsi qu’à Butembo. Une centaine d’écoles ont fermé alors que plusieurs autres ont été délocalisées vers des villages supposés sécurisés, mais les élèves étudient à ciel ouvert ou sous des arbres.
La délégation s’oppose à l’hypothèse selon laquelle la guerre de l’Est serait une guerre asymétrique. Elle précise qu’il s’agit plutôt d’une guerre d’occupation, avec des stratégies d’opération bien définies mais aussi, des adversaires bien identifiés.
« Nous avons mené des investigations au sujet de la situation des massacres à l’Est de la RDC. Les résultats de ce travail nous ont démontré que la guerre à l’Est n’est pas une guerre asymétrique. Il s’agit plutôt d’une guerre d’occupation. Ce sont des habitants des autres territoires, voisins à la RDC, qui veulent prendre possession illégale de nos terres », souligne Rose Kahambu Tuombeane.
Et de renchérir, « En effet, les massacres commencent à Beni en 2014, quelques mois après la défaite du M23. Selon nos investigations, certains officiers du M23 étaient allés en Ouganda (étant donné que Béni et Ituri, deux zones déstabilisées, partagent la frontière avec ce pays voisin) pendant cette période.
Nous pensons après les investigations que ce sont ces officiers M23 qui ont rejoint des rebelles ADF dans la brousse (inactifs depuis leur installation entre 1994 et 1996), et se sont activés pour opérer des massacres dans cette région, avec le mêmes mode opératoire assimilé au génocide du Rwanda. Certains membres ont été recrutés en Tanzanie, en Somalie, en Afrique du Sud. On y trouve plusieurs nationalités africaines ».
Arrêter d’accuser la population de complicité avec les groupes rebelles
La délégation confirme que la population de cette région du pays a toujours dénoncé et alerté des potentielles attaques. Elle rejette les allégations portées contre cette population, notamment la complicité. « Il ont utilisé tous les moyens possibles pour victimiser et responsabiliser la population à propos des massacres qui s’y opèrent. Nos investigations ont aussi démontré que parmi les nouvelles stratégies mises en place, il y avait notamment celle de faire croire que la population de cette région agit en complicité avec les groupes armés », dit la Cheffe de la délégation. Elle ajoute par ailleurs qu’avant toute intervention de l’armée, la population lance toujours des alertes. « Il y a un système d’alerte efficace. Mais souvent si la population ne dénonce pas, c’est notamment parce qu’il y a des infiltrés au niveau de la sécurité. Certaines familles ont été attaquées après avoir dénoncé des actes auprès des autorités ». De ce fait, elle plaide pour qu’une politique de protection des sources soit établie dans cette région.
De la rencontre avec le Chef de l’Etat
Depuis son séjour à Kinshasa, la délégation a été reçue à deux reprises par le Chef de l’Etat. Rose Kahambu a expliqué, « Le premier jour, c’était avec quelques membres de la délégation. Le second jour, nous y sommes allés avec toute la délégation.
Nous avons exposé l’objectif de notre mission dans la capitale et présenté au Chef de l’Etat les résultats de nos enquêtes. Il nous a rassuré que la situation de l’Est lui tient à cœur et que dans les prochains jours, il va exactement s’installer à l’Est pour suivre de près la situation et pouvoir trouver des solutions ».
Pour terminer, Rose Kahambu lance un appel aux congolais en vue d’une mobilisation « comme un seul citoyen afin que finalement la situation de Beni trouve une solution durable et définitive. Population, autorités nationales et internationales, que chacun fasse ce qui est dans son pouvoir pour que cesse ce bain de sang qui a emporté des milliers des congolais ».
La délégation était composée de Rose Kahambu Tuombeane (Présidente de la DYFEGOU, Julienne Nkuna (Membre et représentante de la Sofepadi) , Prince Musavuli (Président des étudiants Région de Béni) , Kule Mbueki Jérémie (Représentant des rescapés).
Par ailleurs, la délégation se propose de poursuivre ses actions dans la capitale jusqu’à ce que les conditions soient réunies pour l’installation du Chef de l’Etat à l’Est du pays.
Prisca Lokale