15 janvier 2021
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Voici 60 ans, Patrice Lumumba était fusillé dans une clairière du Katanga. L’opération se voulait discrète, il fallut longtemps pour que la vérité s’impose. Aujourd’hui, en Belgique comme au Congo, le passé s’est rapproché, mais notre ancienne colonie ne s’est jamais remise de ce « crime fondateur » qui a été rendu possible par la corruption des élites.
En comparaison avec leurs compatriotes, les premiers Congolais arrivés en Belgique dès l’Expo 58 pour y poursuivre leurs études étaient plutôt des privilégiés. Mais à Léopoldville, à l’aune des colons belges, ils étaient pauvres et les avantages dévolus aux « évolués » leur étaient chichement mesurés. Comment les plus politiques d’entre eux, envoyés à Bruxelles en janvier 1960 pour participer à la Table ronde n’auraient ils pas été éblouis ? On les courtisait, on les flattait et le soir ils allaient danser au rythme de « Indépendance Cha Cha… ».Après le départ de Lumumba fin février s’ouvrit la Table ronde économique. Les dirigeants des grandes sociétés coloniales hantaient les couloirs et choisissaient leur interlocuteur, celui qu’ils appelaient en souriant « leur nègre ». Les partis politiques, avec des sociologues en éclaireurs, firent de même. Seul Lumumba n’était pas malléable. A l’époque, les allégeances et les fidélités se monnayaient sans trop de peine. Un costume neuf, une Chrysler noire pour les futurs ministres, cela pouvait suffire. Les Belges dépensaient sans beaucoup compter : des fonds secrets leur avaient été alloués pour séduire de futurs alliés congolais, le seul espoir étant qu’un jour soit désavoué l’incontrôlable Lumumba.
C’est là, -comme dans d’autres pays à la veille de l’indépendance- que se noua l’alliance maudite, celle de la politique et de l’argent. « La mouche phoride avait pondu ses œufs » assure le politologue Jean Omasombo. Autrement dit, le ver de la corruption des élites avait été introduit dans le fruit ; la politique allait devenir un moyen d’enrichissement rapide, et pour les étrangers, d’abord les Belges et puis les autres, l’argent allait devenir le ciment de bien des amitiés et complicités…
Avant l’indépendance déjà le jeune Mobutu avait tout compris et dès sa prise de pouvoir, il allait se révéler un incomparable maître du jeu, à la fois ami et adversaire des Belges, avançant soigneusement ses pions sur l’échiquier de la guerre froide, de la concurrence entre Belges et Français, des susceptibilités américaines face au communisme. Il utilisa l’argent comme un moyen de sa politique, comme la garantie de sa longévité… Très tôt, l’élève avait devancé le maître…
A ce jeu de l’argent et de la politique, les Belges font désormais figure d’enfants de chœur, de donneurs de leçons… Les enfants des pupilles de jadis jouent dans la cour des Grands : Joseph Kabila mettait en concurrence Chinois et Américains et Félix Tshisekedi récupère la majorité de son prédécesseur à coup de millions. Les chiffres donnent le tournis : le nouveau « bureau d’âge » de l’Assemblée (le plus vieux et le plus jeune…) dispose de 12 millions de dollars pour emporter les consciences des « transhumants » qui font la « traversée »… Même la lutte contre la corruption, mantra du régime, s’avère à géométrie variable, à l’aune de l’allégeance politique. Et pendant ce temps, les militaires, dans l’Ituri ou au Nord Kivu gagnent, -quand ils sont payés-, 40 dollars par mois pour combattre dans la boue. Lumumba, où es tu ?